Avec le temps n'importe qui dirait être habitué. Seulement lorsqu'il s'agit de ce genre de chose, c'est tout le contraire. Avez-vous déjà essayé de vous habitué à la faim ? Pourriez-vous être habitué à cet élan monstrueux et sans regret qui vous saisie à chaque montée de pleine lune ? Bien sûr que non. La bête en moi est présente, tout le temps, elle dicte ses lois lorsque je la laisse s'exprimer et seul Camden peut m'aider à garder un temps soit peu le contrôle de moi-même. Mais Camden s'évanouit bien vite face à la pleine lune. Cet astre traître qui vient faucher les âmes lupines sans une once de remord ou de douceur. Ça te prend d'un coup, ça s’immisce en toi, ça te rend plus puissant. C'est grisant. Oui, il faut l'avouer, j'aime cette sensation. Le sentiment que tu es plus fort, plus agile, capable de déraciner un arbre si l'envie t'en prenait, si jamais une proie se trouvait juste derrière. Je me souviens de ma première pleine lune, lorsque je m'étais fait jeté dans une cellule. La police pensait que j'étais impliqué dans la mort de mon père. Comment avaient-ils pu ne serait-ce que l'envisager ? Jamais je n'aurais tué mon père, peut importe ses actes, peut importe ses mots. Je n'aurais jamais fait de mal à une mouche. Moi, le grand type qu'on voit mais qu'on ne désire pas vraiment connaitre car il semble plus banal et ennuyeux qu'autre chose. Mais cette nuit-là, entre ces quatre murs...je l'ai senti. J'ai senti l'instinct meurtrier, cette envie soudaine et incurable de sang, de chair, d'ôter la vie. La culpabilité ne m'a même pas effleuré et c'est le lendemain que je me suis rendue compte à quel point j'étais devenu dangereux. J'avais failli tuer cet agent de police et si Derek n'était pas intervenu...je ne sais pas ce que j'aurais pu faire à Stiles. J'ai honte de cela, honte de n'avoir pas su me maîtriser. Alors je suis allé voir Derek, mon alpha, l'homme qui m'a permit de devenir ce que je suis aujourd'hui. Je ne lui avouerais jamais en face à quel point je lui suis reconnaissant, fierté masculine oblige. Je lui ai demandé de l'aide, qu'il m’apprenne. Et il m'a appris. Et jusqu'à ce soir je pensais être capable de me raccrocher suffisamment à mon humanité pour ne plus jamais blesser personne. J'avais tord.

Depuis quelques jours, voir quelques semaines, il y a cette chose dans l'air. Quelque chose change, quelque chose c'est brisé et ça me dérange. Ça me coûte plus de me maîtriser, de garder mon calme lorsque je suis énervé. Je suis rarement énervé, souvent surpris et encore...j'ai toujours été comme ça, à regarder la vie à travers une vitre de sorte de ne jamais me blesser, que rien ne m'atteigne trop. Seul les coups m’atteignent. J'ai toujours été seul, réservé. Mais Scott et Derek m'aident, en quelque sorte. Grâce à eux, je m'ouvre, j'accepte d'être touché par autre chose que des poings.
La lune commence à pointer le bout de son nez et je me sens mal, j'ai besoin de marcher, de courir. Mes doigts tremblent, puis bientôt mes mains. Je fais les cent pas dans ma demeure, essayant de me calmer. Je m'imagine Camden, je l'imagine me serrer dans ses bras, me dire que tout va bien, que ce n'est pas une planète à des dizaines d'années de chez nous qui va réussir à me contrôler. Mais ça ne sert à rien, ça empire. Je monte, troque mon jogging contre un jean, redescend et claque la porte. Ma tête me fait mal, les rayons de la lune me brûlent. Je fronce les sourcils alors que je marche vite, plus vite, toujours plus vite vers le seul endroit où je suis sûr de ne croiser personne. J'arrive à la lisière de la forêt et baisse mon regard vers mes mains. Mes ongles ont fait places à des griffes courbés d'un jaune clair. J'imagine la couleur ambre de mes yeux alors que je semble redécouvrir la forêt tel un terrain de jeu, un terrain de chasse. La bête, elle coule dans mon sang, gonfle mes veines et mes désirs. Mes crocs claquent alors que je franchi, pieds nus, le seuil de la forêt. Je me mets à courir. Courir pour ne pas trop réfléchir, courir en espérant ne croiser personne. Ne croiser aucune odeur.

Les feuilles craquent sous mes pieds agiles et rapides. Je flaire les alentours à la recherche d'une proie, de quelque chose qui pourrait me combler de ce désir meurtrier. Je sens en moi cette parcelle d'humanité prier pour que je ne sente rien, que je blesse ni humain, ni animal. Cette partie de moi s'éteint très vite lorsqu'une odeur alléchante et presque humaine vient s’immiscer dans mes poumons. Je grogne, fais claquer mes crocs, mes griffes et me mets à courir vers la source de cette odeur. J'ai toujours été très rapide. Je me rapproche, me rapproche, grimpe le long d'un tronc pour surprendre ma cible et reste quelques instants, le bouche entre-ouverte, à regarder cette silhouette dans le noir. Un grognement m'échappe alors que mes jambes me poussent au sol, directement sur le corps féminin que j'ai repéré il y a quelques kilomètres. Un hurlement guttural m'échappe alors que je ressers ma prise autour de la jeune femme.